Penser nos douleurs : Quinte – la révolte

La loi séparatisme, le beau paquet, qui parachève huit ans de confiscation de l’agir associatif et de mise sous tutelle de l’engagement.

La ficelle qui fait venir la pelote est celle des cordons de la bourse. Entendre, de la loi de finance qui, dès 2014, notifie aux acteurs associatifs un cadre neuf:

«Si elles parviennent à montrer qu’elles peuvent contribuer à atteindre les objectifs assignés aux politiques publiques dans le cadre de la LOLF, et qu’ainsi elles constituent des opérateurs et des partenaires compétents de ces politiques, la situation des associations s’en trouvera confortée. »

D’espaces de libre expression d’intérêts et d’aspirations communes, les associations se voient proposer un horizon réduit à celui d’opérateur de politiques publiques.  C’est ici que s’observe le premier impact. L’engagement des associations se déplace d’un objet « librement consenti » à un objet « piloté » et inscrit dans une dimension politique pensée non par le collectif de ses membres, mais par un corps extérieur à elle qui le lui impose.

Et afin qu’on ne s’y trompe pas, celui qui utilisera les fonds publics pour rédiger du plaidoyer et le faire connaître sera mis au ban. C’est le clou enfoncé huit ans plus tard par la loi séparatisme : le contrat d’engagement républicain. Celui par lequel le corps associatif s’engage à « ne pas se prévaloir de convictions politiques, philosophiques ou religieuses pour s’affranchir des règles communes » contractualisant ici sa dette envers l’état financeur, et offrant en règlement sa servitude mutique.

La loi séparatisme. Le beau paquet, qui pense tout dans ses moindres recoins, y compris le sort réservé aux collectifs rétifs ou non financés – la dissolution – s’ils se font trop remuants…

A l’échelle individuelle, une tectonique analogue se fait sentir dès 2018. Le levier de l’incitation fiscale étant à cette échelle indisponible, c’est déjà la sanction qui sert de manette d’ajustement.

Ainsi, la loi Asile et Immigration loi s’attache à donner corps au délit d’« aide à l’entrée et au séjour de personnes en situation irrégulière », plus connu sous le nom de « délit de solidarité ». Elle y adjoint une peine allant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Alors, certes, quand, quelques années plus tard, le Conseil Constitutionnel consacre le « Principe de Fraternité » qui répond bien au « délit de solidarité », les assignations et les gardes à vue fléchissent. Mais le doute, lui, est bien installé. La solidarité, oui, mais à bon escient.

Fort heureusement, les propositions d’engagement à bon escient se multiplient. Elles se multiplient tout d’abord en direction des jeunes, auxquels on offre une floraison de « missions de service civique ».  Elle se matérialise ensuite dans l’injonction faite aux personnes en proximité de personnes fragilisées à se concevoir en « aidants ». Aidants familiaux, aidants numériques, aidants scolaires… en remplacement des soignants, travailleurs sociaux, et de toute la frange des travailleurs de proximité dont l’emploi se trouve ici externalisé.

Bénévoles associatifs, aidants citoyens, services « civiques » pour feu les services « publics », le capitalisme a trouvé son nouveau « relais de croissance » : le travail gratuit. En marche, en rang et en cadence, il n’y a plus qu’une poignée de têtes légitimes à penser, condamnant les autres à subir .

Et ça marche. Ça marche, parce que nos cerveaux sont embolisés d’angoisse, écrasés de solitude, tenus en sidération par des flux médiatico-publicitaires qui nous font tour à tour haïr et désirer violemment, muselés par une délégitimation rampante du débat contradictoire, entravés dans nos capacités à panser nos blessures. Pour les quelques uns qui restent debout, trouver les maux ne suffit pas. De tant de mutilations à nos pouvoirs d’agir, de penser, tant de violence pour défendre les intérêts économiques de quelques-uns, naît au moins le refus, de voter, de cautionner, et au mieux, la révolte.

C’est ça qu’il ne faut pas qu’on voie.

C’est qu’on subit nos vies du fait de choix construits, construits hors des cercles du débat public, sans considération aucune pour les douleurs qui y naissent, du fait de choix qui instrumentalisent nos volontés de penser juste et d’agir bien et ne nous laissent que le refus ou la révolte comme horizon du sens.

 

Et si nous amenions ces controverses dans la lumière ?

A un virage sécuritaire dicté par l’appât du gain, nous pouvons préférer la liberté dictée par l’appât du beau.

A la mise en coupe réglée des libertés qui y feraient barrage, nous pouvons préférer l’extension du mieux être pour construire ensemble un corps plus résistant.

Pour chaque différence amputée, nous pouvons guérir dans le soin de ce qui nous rassemble.

De chaque pensée étouffée, nous trouverons emploi ; de ses possibles inexplorés, de ce qu’elle lit de nos angles morts, des trous dans nos perspectives, et nous laisser remuer de l’intelligence de l’autre, celle qui fait lien avec, et parfois malgré nous.

De chaque étincelle d’intelligence et de vie, nous pouvons faire un tout plus grand.