Le premier de ces choix, c’est de se saisir des évènements tragiques qui ont marqué le début du siècle de part et d’autre de l’atlantique pour ouvrir un nouvel eldorado au capitalisme : la société de la sécurité. La société de la sécurité à tout prix, y compris celui de la liberté, dont on relèvera au passage qu’elle ne se vend pas, ou mal, tandis que la sécurité, si.
Explications :
En droit, la souveraineté des Etats est un principe majeur. On y entend que l’Etat nait pour le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple, et que l’Etat porte parole du peuple souverain.
En tâchant de prendre un peu de recul sur les éléments de langage qui marquent l’époque, on observe que cette notion de souveraineté est soudain dérobée à son acception d’origine et qu’on lui en injecte une autre, selon la technique maître de l’art de la guerre d’une politique qui n’est plus que spectacle : la rapine sémantique.
Voici la souveraineté qui, dans un seul mouvement fluide, n’a plus rien à voir avec le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple au travers du mandat qu’il remet à l’Etat, mais tout à voir avec la souveraineté économique de quelques-uns sur tous les autres, la souveraineté grâce à la création de « champions » européens des industries vitales : numériques, militaires, d’énergies, d’agriculture censés nous mettre … en sécurité.
Ceux qui se font faire les poches protestent dans un premier temps par la voix des observatoires, espèce en voie d’extinction dont la fonction est d’observer les phénomènes célestes et administratifs, selon, et de faciliter l’accès à l’information du public dans différents domaines.
Le rapport 2022 de l’observatoire des multinationales, publié en amont de la présidence française de l’Europe, afin de mettre en lumière les croisées de chemins qui s’ouvraient à elle, est ici éloquent :
« Sous prétexte de promouvoir la ’souveraineté économique’ de l’Europe, le président français et son gouvernement poussent surtout pour un soutien politique et financier de plus en plus massif aux grandes entreprises et à leurs technologies problématiques », explique son directeur.
Au-delà de ses enseignements inestimables sur les nouvelles fabriques de la loi, ce rapport est précieux pour comprendre où s’enracine l’aversion dudit gouvernement pour les observatoires. Y sont soulignés, pêle-mêle :
Le recours à des sponsors privés pour régler les frais de bouche des représentant.es du gouvernement aux activités liés à cette présidence, garantissant ici la plus sincère de toutes les gratitudes : celle du ventre.
L’opacité du choix des audiences de conseil, dans lesquelles dix neuf fois plus de représentant.es de grandes entreprises sont entendu.es que d’associations défendant l’intérêt public.
La recrudescence des situations de conflit d’intérêt, tant au niveau des personnes mandatées pour représenter l’intérêt national (dont les intérêts économiques personnels désavouent l’objectivité) que du président lui-même, candidat à sa propre réélection, et à qui cette présidence européenne offre une tribune de choix.
Conflit d’intérêt toujours, on vante ici les mérites du nucléaire au nom du climat, la création de géants européens du numérique au nom de la protection de la vie privée… On vante, et on finance massivement sur les deniers publics.
L’énoncé des outrages se conclut sur un point sans appel : « La focalisation sur les « champions industriels européens » risque d’exposer les institutions et les processus décisionnels européens à de nouvelles formes de capture par les grandes entreprises. »
Capture. Le terme est explicite, et jette une lumière crue sur les conséquences des choix qui sont faits loin des lieux de débat. Cette lumière, c’est également celle que jetait feu l’observatoire de la laïcité sur les dérives sémantiques vers lesquelles la parole publique la poussait. Feu. C’est également celle que jetaient feu les commissions d’enquête publique sur les conséquences matérielles de tel ou tel projet industriel. Feu. C’est encore celle que jette le Comité de suivi des Nations Unies sur nos droits économiques, sociaux et culturels… La mèche est allumée, comme nous le verrons plus loin.
Souveraineté… Le terme flatte l’oreille … Alors souveraineté, mettons, mais sur quel ennemi ?
Où est l’ennemi ? Qui est l’ennemi ?
Nulle part, partout, tout le monde, et lentement, le droit qui fait obstacle et le peuple à sa suite. Et dans cette obscurité, naît l’angoisse.
Juin 2022